Fin du contrat d'agent commercial et indemnisation de l'agent
Publié le :
13/01/2023
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Le statut de l’agent commercial est encadré depuis 1986 au niveau communautaire (directive numéro 86/653/CEE) et au niveau français depuis 1991 (loi n° 91–593 du 25 juin 1991, intégrée aux articles L. 134–1 et suivants du code de commerce). Ce statut très protecteur des intérêts financiers de l’agent commercial a fait récemment l’objet de plusieurs précisions importantes par les juridictions françaises et par la CJUE, concernant (1) l’impact des modalités de fin du contrat sur la reconnaissance du droit à indemnité de l’agent, (2) l’évaluation de cette indemnité et (3) l’appréciation de la faute grave, excluant ce droit à indemnité.
1. Modalités de fin du contrat d’agent et impact sur le droit à l’indemnité de fin de contrat
La loi française reconnaît (art. L 134–12 Code com) à l’agent commercial un droit à une indemnisation compensatrice du préjudice subi par l’agent en cas de cessation des relations avec le mandant. Mais ce droit à indemnité est écarté (art. L 134-13 Code com) dans les cas suivants :- en cas de résiliation par le mandant pour faute grave de l'agent commercial ;
- en cas de résiliation par l’agent, sauf si elle est justifiée par des circonstances imputables au mandant ou si elle est due à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée.
Une faute grave de l’agent non mentionnée par le mandant dans sa lettre de rupture ne peut pas être invoquée ultérieurement pour nier le droit à indemnité
Il était déjà reconnu par la jurisprudence que le comportement d’un agent commercial ne peut être qualifié de faute grave privative du droit à indemnité, si le mandant bien qu’ayant eu connaissance de ce comportement avant la rupture, ne l’a pas mentionné comme faute grave dans le courrier de rupture.
S’agissant de la faute grave découverte après la notification de rupture, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence (16 novembre 2022, n° 21–17.423, aff. Acopal) en jugeant que la découverte, après la notification de fin de contrat, d’une faute commise par l’agent commercial ne peut pas priver celui-ci de son droit à indemnité, car c’est le courrier de rupture qui fige les motifs invoqués par le mandant et donc les conditions d’attribution de l’indemnité.
Le mandant pourra quand même réclamer des dommages et intérêts au titre de cette faute grave connue postérieurement à la lettre de rupture. Mais il faudra scruter la jurisprudence ultérieure pour voir si les tribunaux accordent au mandant, plus ou moins automatiquement, des dommages intérêts équivalent à l’indemnité de fin de contrat, ou s’il sera exigé du mandant qu’il rapporte la preuve de la réalité d’un préjudice subi et d’un lien de causalité entre la faute de l’agent et son préjudice.
La fin de contrat notifiée par l’agent commercial fige le régime de l’indemnité de fin de contrat
Le mercredi 16 novembre 2022 était décidément une journée noire pour les mandants puisque la Cour de cassation a rendu le même jour un second arrêt qui vient fragiliser la position du mandant et renforcer le droit de l’agent commercial d’obtenir une indemnité de fin de contrat.
Dans cette seconde affaire (16 novembre 2022, n° 21.10.126, aff. SBA Vins), un agent commercial avait mis fin au contrat au tort de son mandant, et le mandant avait réagi en invoquant une faute grave de son agent (représentation de concurrents). Alors que les fautes étaient de part et d’autre prouvées, la cour de cassation a refusé d’écarter le droit à indemnité de fin de contrat, réclamé par le mandant au titre de la faute grave de l’agent, au motif que le contrat avait été rompu à l’initiative de l’agent commercial qui justifiait cette rupture par une faute préalable de son mandant, et que « l’éventuelle commission d’une faute grave par l’agent commercial était sans incidence sur son droit » à indemnité de fin de contrat. La Cour de cassation fait une lecture très formelle de la portée de la notification de fin de contrat : c’est cette notification qui pose le régime juridique de la détermination de l’indemnité de fin de contrat, indépendamment de la preuve ultérieure d’une faute grave de l’agent commercial.
L’impact pratique de cet arrêt, s’il venait à être confirmé par d’autres décisions, peut être considérable, car il semble donner une prime à celui qui prend l’initiative, formelle, de notifier la fin du contrat d’agent.
Pour résumer la potentielle portée pratique des deux arrêts du 16 novembre 2022 :
- si le mandant notifie la fin du contrat sans mentionner une faute grave (connue, ou pas, au jour de cette notification) : il ne pourra pas invoquer plus tard cette faute grave pour nier à l’agent commercial un droit à indemnité ;
- si l’agent commercial notifie la fin du contrat, en prouvant que cette rupture est justifiée par une faute antérieure du mandant, son droit à indemnité de fin de contrat sera acquis, même si le mandant arrive de son côté à prouver que l’agent avait commis une faute grave.
2. Détermination du montant de l’indemnité de fin de contrat
Alors que la directive CE de 1986 et l’article L. 134–12 du code de commerce posent clairement un principe d’indemnisation du préjudice subi par l’agent commercial, les juridictions françaises persistent à accorder quasi uniformément à l’agent commercial une indemnisation de fin de contrat égale (en général) à deux années de commission brute, calculée sur la moyenne des trois dernières années, et ce, sans imposer à l’agent de rapporter la preuve de la réalité de son préjudice, ni la preuve du lien de causalité entre la rupture du contrat et son préjudice.La Cour de cassation a jugé dans l’arrêt du 16 novembre 2022 précité que cette indemnité ne doit pas être réduite du montant des commissions que l’agent commercial a continué à percevoir, après la fin du contrat, au titre de la prospection pour le compte d’un nouveau mandant, de la clientèle qu’il avait apportée au mandant dont le contrat a pris fin.
A l’inverse, il faut souligner l’arrêt rendu par la CJUE le 13 octobre 2022 (C 593/21, aff. NY c/ Herios) qui a jugé que l’indemnité normalement due par l’agent à ses sous-agents pouvait être écartée, au nom de l’équité, notamment dans l’hypothèse où le sous agent poursuit son activité avec le mandant principal. Ce principe d’équité et une lecture plus rigoureuse de la Directive de 1986 (art. 17.3) doivent aussi conduire à considérer qu’un agent, dont le sous-agent continue directement la relation avec le mandant, ne peut inclure dans l’assiette de son indemnité de fin de contrat demandée au mandant, la quote-part qui devrait revenir à son propre sous-agent.
Cette volonté de (trop ?) protéger l’agent commercial et son indemnité de fin de contrat, se traduit encore par l’arrêt rendu par la Cour de cassation, le 28 septembre 2022 (n° 21–12.292, aff. Seafoodia). La Cour a en effet jugé d’un côté que le mandant pouvait valablement résilier par anticipation un contrat d’agent à durée déterminée, sans que cela ne soit constitutif d’une faute et de l’autre côté que l’indemnité de fin de contrat devait quand même être calculée au regard du terme initial du contrat.
Mais cette combinaison par la Cour suprême des règles de droit commun des contrats (possibilité de mettre fin à un contrat à durée déterminée, sans faute) et de la règle spéciale du contrat d’agent commercial (indemnité compensatrice de fin de contrat) n’emporte pas l’adhésion. Non seulement elle est en contradiction avec la première partie du raisonnement autorisant le mandant à résilier par anticipation, et sans faute, le contrat avant son terme mais de surcroît elle est en rupture avec le mode classique de calcul de l’indemnité qui consiste à prendre en compte la moyenne des commissions passées, et non à extrapoler sur les commissions futures. Là encore, il faudra vérifier, au cours des prochaines années, si cette position de la Cour de cassation est appliquée par les juges du fond (et comment).
L’arrêt du 19 octobre 2022 de la Cour de cassation (ch. com. N°21–20. 680, aff. VG Sport) rappelle que lorsque le mandant prouve une faute grave commise par l’agent commercial, cette faute grave, non seulement exclut le principe de l’indemnité de fin de contrat, mais également autorise le mandant à solliciter une condamnation de l’agent à des dommages intérêts pour l’indemniser du préjudice qu’il a subi ; a minima si la faute n’est pas grave les dommages-intérêts alloués se compenseront avec l’indemnité de l’agent.
Enfin, et même si cela n’a pas de relation directe avec le calcul de l’indemnité de fin de contrat, la solution dégagée par la CJUE dans son arrêt du 13 octobre 2022 (n° 64/21, aff. Rigall Arteria) mérite d’être signalée, même si elle se déduisait déjà des articles L134-6 et 134-16 du code de commerce français.
La CJUE affirme que le droit à commission de l’agent sur des ventes « répétées » (c’est-à-dire une vente « conclue avec un tiers que l’agent commercial a préalablement acquis comme client pour des opérations de même nature ») peut être écarté par le contrat d’agent. Cet aménagement contractuel (qui peut aussi prendre la forme d’une commission à taux minoré ou plafonnée) aura nécessairement un impact mécanique et futur sur le calcul de l’assiette de l’indemnité.
3. Détermination de la faute grave de l’agent, exclusive de l’indemnité
Selon la jurisprudence française, la faute grave de l’agent commercial est celle qui « porte atteinte à la finalité commune du mandat d’intérêt commun et ce faisant qui rend impossible le maintien du lien contractuel entre le mandant et son agent commercial ». Par exemple, le dénigrement des produits du mandant, le détournement de commandes au profit d’un autre mandant, la violation d’un engagement de non-concurrence ou encore le désintérêt manifeste ou récurrent de l’agent commercial pour sa mission de prospection peuvent constituer autant de faute grave. À l’inverse, le non-respect d’un objectif de génération de chiffre d’affaires ne constitue pas en lui-même une faute grave.Récemment, les juridictions françaises ont jugé que pouvait constituer une faute grave, l’absence d’information du mandant par l’agent commercial de son changement d’actionnaire (Cour cass. 29 juin 2022, n° 20.11.952, aff. Signa Deco), ou encore l’absence d’information par l’agent de son changement de gérant (Cour cass. 29 juin 2022, n°20. 13.228, aff. Bystronic France). Ces deux cas confirment également que le mandant a intérêt à stipuler de telles obligations de notification dans le contrat d’agent.
Constitue aussi une faute grave le fait pour un agent commercial de modifier les codes d’accès au site web de son propre mandant et de le mettre en maintenance de façon abusive (Cour cass. 19 octobre 2022 précitée).
Enfin, il sera rappelé que la tolérance du mandant en présence d’une faute grave de l’agent commercial peut conduire à une double sanction : d’une part, il ne pourra pas invoquer la faute grave pour nier le droit à indemnité et d’autre part, il ne pourra pas solliciter de dommages intérêts en réparation de cette faute grave. Le mandant a donc tout intérêt à stipuler une clause de non-tolérance et de non-renonciation et surtout à exercer une gestion suivie de sa relation avec son agent commercial pour réagir au bon moment.
Points clefs à retenir
- Le mandant doit vraiment se poser la question du choix du schéma contractuel de promotion : agent commercial ou autres schémas contractuels (voir ici notre article sur Legalmondo).
- Le contrat d’agent doit être préparé et rédigé très précisément pour définir les obligations de l’agent commercial dont le non-respect pourra favoriser la qualification d’une faute grave excluant le droit à indemnité.
- La mise à disposition par le mandant de son fichier clients/prospects peut être valorisée et faire l’objet d’une rémunération payée par l’agent, différée jusqu’à la fin du contrat et se compensant avec l’éventuelle indemnité.
- Dans l’hypothèse où la relation se dégrade avec l’agent, le mandant doit être proactif et déterminer très vite s’il doit être le premier à prendre l’initiative de la rupture de la fin du contrat en invoquant une faute grave de son agent.
L’assistance d’Altaïr Avocats
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Christophe Héry
Agathe Raffin
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