Critiquer un concurrent ou ses produits et services : Libre expression, diffamation ou dénigrement ?
Publié le :
15/05/2019
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Si le principe de liberté d’expression est l’un des fondements de notre démocratie, le droit français a depuis longtemps posé des limites à la critique d’un concurrent.
D’une part, la loi du 29 juillet 1881 sanctionne, au plan civil et pénal, la diffamation laquelle peut être matérialisée par l’imputation de faits précis et déterminés portant atteinte à l’honneur et la considération d’une personne.
D’autre part, la jurisprudence reconnaît le dénigrement parmi les actes constitutifs d’une concurrence déloyale.
La Cour de cassation a récemment apporté des clarifications utiles, dans deux arrêts du 26 septembre 2018 (n° 17–15.502) et 19 janvier 2019 (n° 17–18.350).
L’affaire tranchée par l’arrêt du 26 septembre 2018, opposait deux concurrents dont l’un prétendait avoir été dénigré par l’autre et, à ce titre, avait engagé une action en réparation du dénigrement. Mais la Cour de cassation a jugé que la liberté d’expression est un droit dont dans l’exercice, sauf dénigrement de produits ou services, ne peut être contesté sur le fondement de la concurrence déloyale. La Cour de cassation juge en l’occurrence que le fait pour l’un des concurrents de faire état de malversations, est susceptible de porter atteinte à l’honneur ou à la considération de l’autre concurrent, et à ce titre ne peut être réparé que par une action en diffamation, selon les conditions strictes posées par la loi de 1881.
Dans l’arrêt du 9 janvier 2019, la Cour de cassation a apporté deux précisions pratiques importantes en jugeant que : « même en absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure ». En l’occurrence un fabricant de meubles avait agi en dénigrement contre l’agent commercial de son concurrent car cet agent avait fait état en des termes lapidaires et incomplets, d’une action en contrefaçon de modèle engagée par son mandant (ultérieurement rejetée).
Que faut-il retenir de ces deux décisions qui viennent compléter le cadre juridique préexistant :
Le fait de critiquer une société (ou ses dirigeants) en leur imputant des faits précis (tel que corruption, non-respect d’une réglementation, harcèlement moral ou sexuel, discrimination, fraude…) ne peut être sanctionné que sur le fondement de la diffamation prévue par la loi de 1881. La victime peut choisir soit la voie civile devant le tribunal de grande instance soit la voie pénale devant le tribunal correctionnel. De son côté l’auteur des propos doit invoquer l’exception de vérité en rapportant la preuve de la réalité de sa critique.
Le fait de critiquer un produit ou un service d’un commerçant, concurrent ou non, ne peut être sanctionné que sur le fondement d’une action en concurrence déloyale par dénigrement, portée devant le tribunal de commerce. Dans ce cas, l’auteur doit établir que ses propos reposaient sur une base factuelle suffisante et avaient été exprimés avec une certaine mesure. La vérité n’est donc pas un moyen de défense. En d’autres termes, même si la critique repose sur des éléments factuels avérés, il faut qu’ils soient rapportés de façon objective et en termes mesurés.
Cette obligation s’impose, par exemple, non seulement à un agent immobilier critiquant les services proposés par un autre agent immobilier, mais également à tout professionnel de l’immobilier qui critiquerait les services proposés par un autre professionnel non concurrent.
Cela étant dit, la frontière entre propos diffamatoires et propos dénigrants peut être sensible, selon que les propos visent une société ou ses dirigeants d’un côté ou les services commercialisés par cette société, d’un autre côté. Par exemple, le fait d’évoquer l’absence d’assurance ou de garantie financière d’un professionnel de l’immobilier pourrait, selon le cas, relever d’une critique de la qualité de son dirigeant ou d’une critique des conditions dans lesquelles les services sont rendus. Seule l’étude précise des termes utilisés permet de déterminer le cadre légal d’une action en réparation.
L’évolution de la jurisprudence semble montrer une volonté de moralisation de la vie des affaires. À cet égard, même si les deux régimes restent distincts, la notion de bonne foi pourrait être plus largement prise en compte à l’avenir dans les deux régimes selon que les personnes en cause sont ou non concurrents, car si la critique est saine pour la concurrence, la concurrence doit toujours rester loyale.
Christophe Héry, avocat associé,
A retrouver sur le site Expression Acheter-Louer.
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